- Les forces de sécurité népalaises ont fait usage d'une force disproportionnée contre les manifestations menées par des jeunes le 8 septembre 2025, tirant sans discernement à plusieurs reprises sur les manifestants.
- Au cours de la deuxième journée de violence, le 9 septembre, des personnes, dont certaines n'étaient apparemment pas liées à la manifestation de la « génération Z », ont incendié des bâtiments gouvernementaux, agressé des politiciens, des journalistes et d'autres personnes, et attaqué des écoles, des entreprises et des médias.
- Une nouvelle commission judiciaire chargée d'enquêter sur les violences ne pourra réussir que si elle agit de manière transparente et veille à ce que les responsables d'infractions fassent l'objet d'enquêtes et de poursuites.
(New York, 19 novembre 2025) – Les forces de sécurité népalaises ont fait usage d'une force disproportionnée contre les manifestations menées par des jeunes le 8 septembre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le gouvernement provisoire dirigé par l'ancienne présidente de la Cour suprême Sushila Karki, nommée à ce poste après que le Premier ministre a été contraint de démissionner en raison des manifestations, devrait enquêter sur l'usage excessif de la force ainsi que sur les incendies criminels et les attaques collectives contre des personnes et des bâtiments le lendemain, le 9 septembre ; les enquêtes devraient aussi porter sur les personnes qui auraient ordonné des actes illégaux.
Human Rights Watch a constaté que, le 8 septembre, lors d'une manifestation de jeunes membres de la « génération Z » tenue dans la capitale, Katmandou, la police a tiré sans discernement sur des manifestants à plusieurs reprises pendant trois heures, tuant 17 personnes qui protestaient contre la corruption politique et l'interdiction des réseaux sociaux imposée quatre jours plus tôt. Cela a déclenché une deuxième journée de violence le 9 septembre, mais les forces de sécurité semblent n'avoir pas réagi lorsque des groupes de personnes, dont certaines n'étaient apparemment pas liées à la manifestation de la génération Z, ont incendié des bâtiments gouvernementaux importants, agressé des politiciens, des journalistes et d'autres personnes, et attaqué des écoles, des entreprises et des médias.
« Les récentes violences au Népal ont donné lieu à de graves violations des droits humains, et les responsables devraient être traduits en justice, qu'il s'agisse des forces de sécurité ou d'acteurs politiques », a déclaré Meenakshi Ganguly, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait veiller à ce que les enquêtes soient indépendantes, limitées dans le temps et transparentes, et à ce qu'aucune personne reconnue coupable d'avoir enfreint la loi ne soit injustement protégée contre des poursuites judiciaires appropriées. »
Le gouvernement de Sushila Karki a créé une commission d'enquête judiciaire chargée d'enquêter sur la mort d'au moins 76 personnes tuées dans tout le pays au cours des deux jours de violence, dont environ 47 à Katmandou, parmi lesquelles trois policiers. Le gouvernement Karki devrait reconnaître et s'attaquer à la corruption et à l'incapacité à garantir les droits, tels qu'un niveau de vie adéquat, qui ont déclenché les manifestations de jeunes, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 52 témoins, victimes, journalistes, professionnels de santé, politiciens, membres de l' e et sources proches des forces de sécurité ; vérifié des photographies et des vidéos publiées sur les réseaux sociaux ou partagées avec des chercheurs ; et visité des hôpitaux et les lieux des manifestations et des incendies criminels. Les recherches se sont concentrées sur Katmandou.
Le 8 septembre, entre 12 h 30 et 16 h environ, la police a utilisé la force meurtrière pour disperser des jeunes qui s'étaient rassemblés autour du parlement, tirant sur des personnes à la tête, à la poitrine et à l'abdomen. Les témoignages et les images analysées ne montrent pas de danger grave et imminent pour la vie qui justifierait l'usage intentionnel de la force meurtrière.
Les participants, informés de la manifestation sur les réseaux sociaux, notamment sur la plateforme de communication Discord, ont commencé à se rassembler vers 9 heures, et à 11 heures, la foule avait considérablement grossi. Alors que les manifestants avançaient vers le Parlement, certains ont franchi la seule barricade érigée dans une rue menant au Parlement. La police a utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des matraques pour les disperser. Les manifestants se sont rassemblés en grand nombre autour de l'entrée principale du Parlement. Certains ont jeté des pierres sur la police. Vers 12 h 30, le gouvernement a décrété un couvre-feu dans la zone, mais les manifestants et les journalistes interrogés par Human Rights Watch n'avaient pas eu connaissance de cette annonce.
Vers 13 h, « la situation a vraiment dégénéré », a déclaré un journaliste qui a entendu des coups de feu et s'est réfugié avec un collègue près du mur d'enceinte du Parlement. Il a ajouté : « Une balle a sifflé entre moi et l’autre journaliste. » Aucun des témoins interrogés n'a entendu d'avertissement avant que la police ne recoure à la force meurtrière.
Les tirs de la police se sont poursuivis par intermittence pendant des heures. Vers 13 h 40, la police a tiré sur une étudiante universitaire de 20 ans, la blessant à l'épaule. « Quand j'ai été touchée, il n'y avait aucune violence », a déclaré l'étudiante. « Tout était très calme. Ils ont commencé à tirer sans crier gare. » Son chirurgien a confirmé ses blessures.
Dans l'après-midi et dans la soirée du 8 septembre, un manifestant a déclaré qu'une unité de police qu'il a identifiée comme étant la Force spéciale l'avait arrêté avec 33 autres personnes dans l'enceinte du Parlement. Il a déclaré qu'ils avaient été battus et menacés. Ils n'ont été libérés que l'après-midi suivant.
Le 9 septembre, des manifestants à travers la ville ont attaqué des commissariats de police, pillé des armes et forcé les policiers à fuir. Trois policiers ont été tués lors d'attaques de foules, ont déclaré des responsables de la police et des médecins légistes qui ont procédé aux autopsies. Dans de nombreux endroits, des membres du public ont participé spontanément à des incendies criminels et à d'autres attaques.
La foule a violemment battu des politiciens et incendié leurs maisons. Certains, dont le Premier ministre de l'époque, ont dû être secourus par hélicoptère militaire. Des bâtiments gouvernementaux clés, notamment le Parlement, le palais présidentiel, les bureaux fédéraux et la Cour suprême, ont été incendiés. Des écoles, des hôtels et des propriétés privées ont également été incendiés. Des milliers de prisonniers ont été libérés après des attaques contre des prisons.
Plusieurs témoins ont affirmé que certaines attaques de la foule étaient sélectives et se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles les forces de sécurité de l' e n'avaient pas fait davantage pour les arrêter. « Les attaques étaient très ciblées », a déclaré un homme d'affaires, soulignant que les entreprises voisines étaient généralement épargnées. De nombreux témoins ont déclaré que les forces de sécurité étaient largement absentes alors que les incendies criminels se propageaient dans la ville le 9 septembre, ne parvenant pas à protéger les personnes et les biens attaqués.
Les témoins et les analystes interrogés par Human Rights Watch ou cités dans les médias ont déclaré qu'ils soupçonnaient que les violences avaient pu être influencées par des « infiltrés » affiliés à divers mouvements politiques. Les autorités judiciaires pénales devraient enquêter sur toute allégation crédible d'actes criminels ayant contribué aux violences, a déclaré Human Rights Watch.
Le Premier ministre K.P. Sharma Oli a démissionné dans l'après-midi du 9 septembre. Le soir même, le président Ram Chandra Poudel a publié une déclaration appelant au calme. Les incendies criminels se sont poursuivis jusqu'à environ 22 heures, heure à laquelle l'armée a été déployée. Le chef de l'armée, Ashok Raj Sigdel, a convoqué des membres éminents du mouvement Gen Z, ainsi que certains politiciens, pour discuter. Le 12 septembre, après avoir consulté leurs partisans sur la plateforme Discord, les représentants de « Gen Z » ont conclu un accord avec le président pour dissoudre le Parlement et nommer Karki à la tête d'un gouvernement intérimaire chargé d'organiser de nouvelles élections.
Des pathologistes de la morgue de Katmandou, qui a reçu 47 corps en deux jours, ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils avaient déterminé que 35 décès étaient dus à des « blessures par balle tirée à grande vitesse » à la tête, au cou, à la poitrine ou à l'abdomen. Le personnel de divers hôpitaux a déclaré avoir reçu des centaines de patients blessés.
La police est entrée dans l'enceinte d'un hôpital le 8 septembre et a chargé le personnel et les patients à coups de matraque, blessant un membre du personnel, a déclaré un responsable de l'hôpital. Les manifestants ont attaqué des ambulances pendant les deux jours. Des journalistes ont été blessés par des projectiles à impact cinétique tirés par la police le 8 septembre et des manifestants ont attaqué les locaux des médias le 9 septembre.
Un haut responsable de la police à la retraite a déclaré que la police n'avait pas respecté les procédures relatives à la dispersion des manifestations et à l'usage de la force meurtrière. Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu interdisent l'usage des armes à feu, sauf en cas de menace imminente de mort ou de blessure grave. L'usage intentionnel et meurtrier des armes à feu n'est autorisé que lorsqu'il est strictement inévitable pour protéger des vies. En vertu de la loi népalaise, les forces de sécurité, même lorsqu'elles sont autorisées à recourir à la force meurtrière pour rétablir l'ordre, doivent émettre des avertissements et éviter les décès.
La commission créée pour enquêter sur les événements des 8 et 9 septembre devrait examiner le rôle des forces de sécurité, les allégations crédibles d'infiltration et les actes criminels ayant contribué à la violence, a déclaré Human Rights Watch. Au 10 novembre, la police avait arrêté 423 personnes présumées responsables des violences du 9 septembre, mais aucune mesure n'avait été prise à l'encontre des agents qui avaient illégalement ouvert le feu sur les manifestants le 8 septembre.
« Les autorités devraient reconnaître que l'impunité généralisée dont ont bénéficié les auteurs de violations des droits humains dans le passé a contribué à rendre possible les violences perpétrées en septembre au Népal », a conclu Meenakshi Ganguly. « Il est essentiel d’inverser la tendance des gouvernements successifs au Népal à enterrer les enquêtes et à retarder les poursuites, depuis des décennies, et à reformer plutôt le secteur de la sécurité en veillant a l’obligation de rendre des comptes. »
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