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Mali : L'armée et des milices ont massacré des villageois dans une région du centre

L'Union africaine devrait intervenir d’urgence afin de promouvoir la reddition des comptes pour les abus

Logo des Forces armées maliennes (FAMA), Bamako, Mali, le 15 février 2025. © 2025 GOUSNO/AFP via Getty Images

(Nairobi) – L'armée malienne et des milices alliées ont tué au moins 31 civils et incendié des maisons les 2 et 13 octobre dans deux villages de la région de Ségou, qui est en proie à des conflits, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

Le 2 octobre, les forces armées maliennes et des milices dozos, des milices composées essentiellement de personnes issues de l’ethnie bambara qui participent à des opérations de contre-insurrection depuis une décennie, ont tué au moins 21 hommes et ont incendié au moins 10 maisons dans le village de Kamona. Le 13 octobre, ces forces ont tué 9 hommes et une femme dans le village de Balle, situé à environ 55 kilomètres de là. Les deux villages sont situés dans une région du centre du Mali contrôlée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM ou Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda. Des témoins ont déclaré que des soldats et des milices dozos ont sommairement exécuté les villageois après les avoir accusés de collaborer avec le GSIM.

« Les massacres d'octobre dans la région de Ségou ne sont que les dernières atrocités attribuées à l'armée malienne et à ses milices alliées », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités maliennes devraient mener une enquête crédible et impartiale sur ces meurtres, et traduire les responsables en justice dans le cadre de procès équitables. »

Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone en octobre avec 10 personnes ayant connaissance des incidents, dont 5 témoins et 5 chefs de communauté, activistes de la société civile et journalistes. Le 8 novembre, Human Rights Watch a écrit aux ministres de la Justice et de la Défense du Mali pour leur faire part de ses conclusions et poser certaines questions, mais n'a reçu aucune réponse à l’heure de la publication de ce communiqué.

Les témoins ont déclaré avoir identifié les soldats à leurs tenues de camouflage, et les Dozos à leurs vêtements traditionnels et aux amulettes qu'ils portaient autour du cou.

Le 2 octobre, vers 10 heures du matin, des soldats à bord d'au moins sept pick-ups et trois véhicules blindés, ainsi que des miliciens dozos à moto, sont entrés dans Kamona et ont commencé à rechercher les hommes du village. Les témoins ont déclaré que les combattants du GSIM avaient alerté les habitants de l'arrivée de l'armée, ce qui a poussé de nombreux habitants à fuir.

« Ceux qui n'ont pas pu fuir ont été rassemblés et exécutés », a déclaré un survivant à Human Rights Watch.

Des témoins ont déclaré que les combattants du GSIM avaient fui le village avant l'arrivée de l'armée, et qu'il n'y avait pas eu d'affrontement entre les deux camps.

Les témoins pensent que ces meurtres, corroborés par des rapports des médias, sont liés aux récentes attaques commises par le GSIM dans la région de Ségou, notamment une attaque qui a détruit l'usine sucrière de Siribala le 8 août.

Les villageois ont ensuite trouvé 17 corps sous un arbre dans le village, et quatre autres corps au nord de Kamona. Ils ont expliqué que les soldats avaient incendié au moins 10 huttes et 3 hangars appartenant à des habitants de l'ethnie peule.

Un berger de 40 ans qui s'était caché dans une maison abandonnée avec sa fille de 9 ans a déclaré que lorsque les assaillants sont partis, vers 16 heures, il a trouvé les 17 corps. « Les gens avaient été criblés de balles », a-t-il déclaré. « L'un d'eux avait la tête complètement fracassée. J'ai également vu plusieurs douilles de balles à côté des corps. »

Un autre homme, âgé de 39 ans, a déclaré avoir aidé à enterrer les corps. « Nous avons creusé une fosse commune sous l'arbre et y avons déposé les [corps des] 17 hommes », a-t-il déclaré. « Plus au nord, nous avons trouvé quatre autres corps. Tous avaient reçus des balles dans le ventre et dans la tête, nous avons donc creusé une autre fosse, les y avons déposés et les avons recouverts de sable. »

Les villageois ont fourni une liste des 21 victimes, toutes des hommes âgés de 20 à 65 ans. Ils pensent que les soldats ont tué d'autres personnes lors de cette attaque. « Nous avons entendu dire qu'au moins 15 autres hommes avaient été tués dans la brousse ce jour-là », a déclaré un villageois. « Mais nous ne sommes pas allés vérifier, car nous avions peur que l’armée revienne. »

Le 13 octobre, vers 13 heures, des soldats maliens à bord de cinq pick-ups et des miliciens dozos à bord d'au moins 30 motos sont entrés dans le village de Balle, provoquant la fuite de certains habitants. « Je ne me suis pas enfui immédiatement, mais lorsque j'ai vu les soldats faire du porte-à-porte et gifler et donner des coups de pied aux hommes, je me suis enfui », a déclaré un homme de 24 ans. « Depuis ma cachette, j'ai entendu des coups de feu. »

Des témoins ont déclaré que les soldats et les miliciens dozos ont tué 10 civils, dont une femme de 55 ans, et neuf hommes, âgés de 22 à 67 ans, et ont volé au moins 100 vaches.

Un homme de 33 ans a déclaré qu'après l'attaque, il a trouvé les 10 corps au milieu du village. « Ils étaient les uns à côté des autres, criblés de balles », a-t-il déclaré. « Certains avaient les jambes et les bras cassés. »

La fille de la femme qui a été tuée, elle-même âgée de 21 ans, a déclaré que sa mère avait crié en s’adressant aux soldats, les accusant d'avoir maltraité les villageois. « Elle s'est dirigée vers les soldats », a-t-elle déclaré. « Ils l'ont alors emmenée là où les hommes avaient été rassemblés, et l'ont abattue. »

Dans un communiqué daté du 14 octobre, le chef d'État-Major Général des Armées du Mali a déclaré que le 13 octobre, des soldats avaient mené une opération de « reconnaissance offensive » autour de Balle, qui avait « permis la neutralisation d'une vingtaine de terroristes » et la saisie de matériel militaire.

Des témoins et des habitants ont déclaré que Balle était depuis plusieurs années sous le contrôle du GSIM. « Nous payons la zakat [taxe islamique] chaque année », a déclaré un homme. « S’il y a des disputes, ce sont les djihadistes qui les règlent. Il n'y a ni soldats, ni gendarmes, ni policiers ici. Par conséquent, l'armée présume que nous sommes des combattants du GSIM. L'armée ne fait pas de distinction entre eux et nous. »

Depuis 2012, les gouvernements maliens successifs ont mené des conflits armés contre divers groupes armés islamistes. Les hostilités ont causé la mort de milliers de civils, et ont contraint plus de 402 000 personnes à se déplacer. Human Rights Watch a documenté des abus graves commis par les forces armées maliennes et ses milices et groupes mercenaires alliés lors d'opérations de contre-insurrection, ainsi que des atrocités commises par le GSIM et d'autres groupes armés.

Les attaques militaires contre des civils dans la région de Ségou ont eu lieu après que le GSIM a commencé à assiéger Bamako, la capitale du Mali, début septembre. Le siège a coupé l'approvisionnement en carburant de Bamako et a incité la junte militaire à fermer temporairement toutes les écoles et universités du pays.

Toutes les parties au conflit armé au Mali sont tenues de respecter le droit international humanitaire, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit de la guerre coutumier. Le droit de la guerre interdit les attaques dirigées contre des civils, ainsi que le meurtre, les traitements cruels et la torture de toute personne en détention. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle ou qui en sont responsables en vertu de leur responsabilité de commandement peuvent être poursuivies pour crimes de guerre.

Bien que le Mali se soit retiré de la Cour pénale internationale (CPI) en septembre, le pays reste un État partie au Statut de Rome de la Cour jusqu'en septembre 2026. En janvier 2013, la Cour a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis au Mali depuis 2012.

L'Union africaine (UA) s’est en grande partie abstenue de réagir efficacement à l'aggravation du conflit au Mali, malgré son mandat de promotion de la paix et de la sécurité, a déclaré Human Rights Watch. Alors que la situation sécuritaire s'est détériorée ces derniers mois, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA n’a rien fait au-delà de publier des déclarations communiquant son inquiétude au sujet de cette situation.

« Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA devrait faire de ce conflit au Mali une priorité », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Il devrait régulièrement organiser des réunions d'information, renforcer les efforts diplomatiques et coordonner les actions régionales et internationales afin de renforcer la reddition des comptes pour les abus commis par toutes les parties. »

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Le Parisien/AFP  RFI

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