(Nairobi) – Le groupe armé islamiste État islamique au Sahel (EIS) a intensifié ses attaques contre des civils au Niger depuis mars 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces attaques ont violé le droit international humanitaire, et sont susceptibles de constituer des crimes de guerre.
Lors d’au moins cinq attaques commises dans la région de Tillabéri, dans l’ouest du Niger et documentées par Human Rights Watch, l’EIS a exécuté sommairement plus de 127 villageois et fidèles musulmans, et a incendié et pillé des dizaines de maisons. Des témoins ont déclaré que l’armée nigérienne n’avait pas réagi de manière adéquate aux alertes d’attaques, ignorant les demandes de protection des villageois. Les stratégies de protection des habitants de la région devraient être révisées de toute urgence, afin de prévenir de nouvelles attaques et d’instaurer des systèmes d’alerte plus réactifs.
« Des groupes armés islamistes ciblent la population civile dans l’ouest du Niger et commettent des abus atroces », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités nigériennes devraient faire davantage pour protéger les personnes qui vivent dans la région de Tillabéri. »
La région de Tillabéri est frontalière du Burkina Faso et du Mali, deux pays où les forces gouvernementales combattent des groupes armés islamistes depuis plus de dix ans. Depuis une décennie, cette région est un foyer des activités de l’EIS au Niger, ainsi que des opérations de contre-insurrection du gouvernement. Depuis 2019, les groupes armés islamistes alliés à l’État islamique ou à Al-Qaïda ont intensifié leurs attaques contre des cibles militaires et des civils dans la zone dite « des trois frontières ». Ces groupes ont également détruit des écoles et des sites religieux et imposé des restrictions strictes basées sur leur interprétation de l’islam.
De mai à juillet 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens à distance avec 28 personnes, dont 19 témoins et 9 activistes locaux, journalistes et médecins. Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice du Niger le 19 août, pour lui faire part des conclusions de ses recherches et pour solliciter des informations sur les mesures prises par le gouvernement pour renforcer la protection des civils. Le ministre de la Justice n’a pas répondu à ce courrier à ce jour.
Aucun groupe armé n’a revendiqué la responsabilité des cinq attaques documentées par Human Rights Watch. Cependant, des témoins ont indiqué que, selon eux, les assaillants étaient des membres de l’EIS, d’après les villages pris pour cible et leurs vêtements, notamment des turbans à bandes rouges similaires à ceux portés par les membres du groupe armé lors d’attaques précédentes. Les habitants ont également expliqué qu’avant chaque attaque, des combattants de l’EIS avaient menacé leurs communautés, les accusant de collaborer avec l’armée nigérienne ou d’ignorer les demandes des combattants.
Le 21 juin, des combattants de l’EIS ont ouvert le feu sur des fidèles dans une mosquée du village de Manda, tuant plus de 70 personnes et blessant au moins 20 autres civils. « La scène était effrayante », a décrit une femme de 77 ans qui a perdu trois fils dans l’attaque. « Il y avait des cadavres partout, les uns sur les autres. Il y avait des corps à l’intérieur et à l’extérieur de la mosquée. Les blessés hurlaient et perdaient du sang. »
Le 13 mai, des combattants de l’EIS ont attaqué le hameau de Dani Fari où ils ont tué cinq hommes et deux garçons, et ont incendié au moins une douzaine de maisons. Un éleveur a raconté : « Les corps étaient éparpillés … criblés de balles. Il n’y avait pas un seul corps ayant reçu moins de trois balles. Les balles avaient atteint les personnes dans le dos, les bras, la tête … Nous avons trouvé les corps des deux enfants allongés sur le dos. »
La junte militaire nigérienne est au pouvoir depuis le 26 juillet 2023, lorsque des officiers de l’armée de l’autoproclamé Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), commandé par le général de brigade Abdourahamane Tiani, ont renversé et détenu le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum.
Ces officiers ont invoqué la dégradation de la situation sécuritaire comme l’une des raisons du renversement de Mohamed Bazoum, et se sont engagés à rétablir la sécurité dans les zones ciblées par les groupes armés islamistes. L’organisation non gouvernementale Armed Conflict Location and Event Data (ACLED) a rapporté que, depuis le coup d’État, l’EIS a tué environ 1 600 civils.
Les forces de sécurité de la junte ont mené de vastes opérations de contre-insurrection, y compris des frappes aériennes, contre les groupes armés islamistes dans des zones touchées par le conflit. Le 3 août, la junte a lancé une initiative appelée « Garkuwar Kassa », soit les « Boucliers de la Patrie » en langue haoussa, visant à recruter et à former des civils pour aider les forces armées. Mais cela a soulevé des inquiétudes parmi les groupes de défense des droits humains quant à la création de milices violentes.
Human Rights Watch a précédemment publié des rapports sur les abus perpétrés par les groupes armés islamistes au Niger, notamment le meurtre de centaines de civils en 2021. Human Rights Watch a également documenté des violations commises par les forces de sécurité nigériennes en 2021, y compris des meurtres et des disparitions forcées lors d’opérations de contre-insurrection, ainsi que la répression de l’opposition politique, des médias et de la dissidence pacifique par la junte.
Toutes les parties au conflit armé au Niger ont l’obligation de respecter l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au droit de la guerre coutumier. Le droit international humanitaire interdit d’attaquer des civils, de maltraiter toute personne détenue, et de brûler et piller des biens civils. Les individus qui ordonnent, commettent ou aident à commettre des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle peuvent faire l’objet de poursuites pour crimes de guerre. Le gouvernement du Niger a l’obligation d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis sur son territoire et d’en poursuivre les responsables de manière appropriée.
« Les civils menacés par les groupes armés islamistes appellent la junte nigérienne à leur fournir une plus grande protection », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement devrait prendre des mesures d’urgence pour empêcher de nouvelles atrocités, enquêter sur les graves violations commises par l’EIS et d’autres groupes armés, et traduire en justice les responsables dans le respect des normes internationales en matière de procès équitable. »
Pour un compte rendu détaillé des attaques, veuillez lire la suite.
Fambita, région de Tillabéri, 21 mars 2025
Le 21 mars, des combattants de l’EIS ont attaqué une mosquée dans le village de Fambita, tuant au moins 46 fidèles, dont 3 enfants, qui assistaient à la prière de l’après-midi, et blessant au moins 12 autres personnes. Ils ont également volé du bétail, pillé des maisons dans le village et incendié au moins 20 maisons, ainsi que plusieurs boutiques au marché. Fambita est situé dans la commune rurale de Kokorou, où l’EIS opère et mène des attaques contre les forces de sécurité et les civils.
Des témoins ont identifié les assaillants comme étant des combattants de l’EIS parce qu’ils portaient des turbans à bandes rouges et parce que, quelques semaines avant l’attaque, des combattants de l’EIS avaient menacé d’attaquer les habitants de Fambita, les accusant de collaborer avec l’armée.
Un homme de 71 ans a raconté que, trois mois avant l’attaque, il avait assisté à une réunion avec le chef de Fambita, qui avait appelé les villageois à collaborer avec l’armée. Il a déclaré ceci :
[Le chef] nous a expliqué que l’armée lui avait dit que la seule façon de se débarrasser des djihadistes dans notre région était de former et d’armer les habitants pour qu’ils agissent aux côtés de l’armée.… Je me suis levé et j’ai dit au chef que nous avions un accord avec les djihadistes depuis cinq ans et que s’ils apprenaient que nous collaborions avec l’armée, ils s’en prendraient à nous en représailles. Mais le chef nous a assuré que … tout se ferait discrètement. Cependant, les djihadistes ont été rapidement informés et en voici les conséquences.
Des témoins ont indiqué que les combattants ont pris d’assaut la mosquée vers 14 heures, tirant au hasard sur les fidèles.
« L’imam avait prêché pendant une trentaine de minutes … quand les tirs ont commencé », a expliqué un homme de 36 ans. « J’ai entendu des coups de feu et des cris de “Allah Akbar !” et j’ai couru vers la sortie alors que des gens tombaient devant moi et que d’autres hurlaient, paniqués. »
Un autre homme, âgé de 61 ans, qui a perdu ses trois garçons, âgés de 10, 12 et 15 ans, dans l’attaque, a raconté : « Je tenais mon plus jeune fils par la main quand la fusillade a éclaté. Alors que nous franchissions la porte de la mosquée, il a été touché par des balles et est tombé. D’autres aussi sont tombés comme des insectes aspergés d’insecticide. »
L’homme a expliqué qu’il s’était enfui dans la brousse voisine où il était resté sous un acacia jusqu’à environ 18 heures, moment où il est retourné à la mosquée. Il a ajouté :
J’ai trouvé une scène macabre. Les gens blessés hurlaient et se tordaient de douleur sur le sol. Il y avait plus de 40 corps entassés. Parmi eux, ceux de mes deux garçons.… Je les ai immédiatement extraits des autres cadavres, je les ai recouverts d’un tissu, jusqu’à ce que des membres de ma famille viennent m’aider à les transporter au cimetière où je les ai enterrés.
Les habitants ont mentionné qu’à l’exception des trois garçons, qui ont été enterrés dans trois tombes le même jour, et de 10 autres corps qui ont été enterrés à la mosquée, les 33 corps restants ont tous été enterrés le lendemain de l’attaque dans une fosse commune au cimetière de Fambita. Les villageois ont fourni une liste comportant les noms des 46 victimes, âgées de 10 à 74 ans.
Les habitants ont également déclaré que les combattants de l’EIS ont mis le feu à des dizaines de maisons et de boutiques au marché. « Ma maison a disparu, elle a été complètement brûlée », a raconté l’homme de 71 ans. « Les djihadistes ont aussi pris tous mes animaux. »
Les données de détection des incendies fournies par le système FIRMS (Fire Information for Resource Management System) de la NASA ont fait état d’incendies actifs au-dessus de Fambita le 21 mars. Des images satellite de basse résolution, enregistrées le lendemain et analysées par Human Rights Watch, montrent une large marque de brulure sur la zone du marché.
Des témoins ont affirmé que l’armée n’était pas intervenue pendant l’attaque. « Des soldats sont venus trois jours plus tard juste pour évaluer la situation », a indiqué l’homme de 61 ans. « Il y avait des soldats maliens et burkinabè aux côtés de nos soldats, ils venaient de Tillabéri. »
Le 21 mars, le gouvernement a publié un communiqué condamnant l’attaque de l’EIS à Fambita et a décrété trois jours de deuil national. Le 25 mars, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a également condamné l’attaque « en violation flagrante du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire international » et a appelé à « une enquête impartiale … pour traduire les responsables en justice ».
Dani Fari, région de Tillabéri, 13 mai 2025
Le 13 mai, des combattants de l’EIS ont attaqué le hameau de Dani Fari, habité par des membres de l’ethnie zarma, et ont tué cinq hommes et deux garçons. Ils ont également brûlé au moins 12 maisons et en ont pillé des dizaines d’autres.
Dani Fari est situé à environ 20 kilomètres de la ville de Tillabéri, dans une zone où opèrent à la fois l’EIS et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda.
Des témoins ont identifié les assaillants comme étant des combattants de l’EIS parce qu’ils portaient des turbans à bandes rouges et parce qu’une semaine plus tôt, l’EIS avait menacé d’attaquer les habitants de Dani Fari, les accusant de collaborer avec l’armée.
Un éleveur de 42 ans a raconté :
Tous ceux qui avaient un téléphone Android ont reçu le message vocal sur WhatsApp et l’ont partagé avec le reste de la population. Vous pouviez entendre quelqu’un, prétendant appartenir à l’EIS, dire que notre hameau était complice de l’armée, que notre communauté avait rejoint les milices et fourni des informations à l’armée sur les positions des djihadistes, et qu’ils [les combattants de l’EIS] s’en prendraient à nous.
Les habitants ont mentionné que certains membres de la communauté zarma avaient rejoint des groupes d’autodéfense locaux parce qu’ils estimaient que le gouvernement n’avait pas suffisamment protégé leurs villages et leurs biens contre les groupes armés islamistes. Cependant, ils pensaient que seuls quelques jeunes hommes de Dani Fari avaient rejoint ces milices.
Ils ont indiqué qu’après avoir reçu les menaces de l’EIS, des habitants avaient alerté les militaires à Tillabéri et demandé la protection de l’armée. Cependant, les soldats ne sont intervenus qu’après le départ des assaillants.
« Nous avons dit [aux militaires] qu’une attaque était en préparation, que nous avions besoin de protection », a raconté un homme de 38 ans. « Mais ils sont venus alors que le hameau avait déjà été pillé, les maisons incendiées et les gens tués. »
D’après les témoignages, le 13 mai, des dizaines de combattants de l’EIS à moto ont pris d’assaut le hameau vers 5 heures du matin, en tirant et en criant « Allah Akbar » (Dieu est grand), provoquant la fuite des habitants.
L’éleveur a expliqué :
Je me préparais pour la prière du matin lorsque j’ai entendu des coups de feu. Les uns après les autres, ils se rapprochaient de plus en plus. J’ai juste couru avec ma famille vers la brousse ... La fusillade a duré jusqu’à 8 heures du matin environ. De notre cachette, nous avons vu des flammes s’échapper de notre hameau et nous savions que tous nos biens avaient été détruits.
Des témoins ont indiqué que la plupart des habitants de Dani Fari sont retournés au hameau le jour même, après l’arrivée vers 16 heures des soldats de la base militaire de Tillabéri pour évaluer la situation.
Les habitants ont rapporté qu’à leur retour à Dani Fari, ils ont trouvé les corps de cinq hommes civils et de deux garçons, que toutes les maisons du hameau avaient été pillées, et au moins 12 avaient été incendiées.
L’homme de 38 ans a raconté :
C’était épouvantable. Il y avait des corps par terre, des maisons brûlées, de la fumée. Ma hutte, faite de peau de chèvre, et ma grange avaient été incendiées.… Mes animaux avaient disparu, chèvres, moutons, ânes. Ils ont tout pris. Il ne restait plus rien dans le hameau. Ils ont pillé les maisons, emportant tout ce qui était utile, y compris le millet et le riz.
Les habitants ont fourni une liste avec les noms des sept personnes tuées, dont cinq hommes âgés de 37 à 61 ans et deux garçons âgés de 10 et 12 ans.
Manda, région de Tillabéri, 21 juin 2025
Le 21 juin, des combattants islamistes ont attaqué une mosquée dans le village de Manda, tuant plus de 70 fidèles, dont deux femmes et cinq enfants, qui assistaient à la prière du matin, et blessant au moins 20 autres personnes. Ils ont également pillé des maisons dans le village et en ont brûlé au moins 10. Manda se trouve dans la commune rurale du Gorouol, où le GSIM et l’EIS opèrent et mènent des attaques contre les forces de sécurité et les civils.
D’après les habitants, les assaillants appartenaient à l’EIS parce que le groupe armé avait mené des attaques contre des sites religieux dans le passé, tant au Niger qu’au Burkina Faso voisin.
Les autorités n’ont pas réagi publiquement après le massacre de Manda, ce qui a provoqué un tollé parmi les habitants. Le 29 juin, un groupe de personnes de la commune rurale du Gorouol a publié une déclaration déplorant le « silence difficilement compréhensible » des autorités qui n’ont apporté aucun « soutien moral » et un soutien matériel très limité aux victimes et à leurs familles.
Des témoins ont indiqué qu’avant l’attaque du 21 juin, des combattants de l’EIS avaient menacé de s’en prendre aux habitants de Manda, les accusant de collaborer avec l’armée, et que la veille de l’attaque, des combattants de l’EIS s’étaient rendus à Manda et avaient accusé les habitants rassemblés à la mosquée d’être des « infidèles » et de fournir des informations à l’armée. « Cela nous a bouleversés », a déclaré un homme de 59 ans. « Nous leur avons dit que nous vivions avec eux [EIS] depuis de nombreuses années et que de telles accusations n’étaient pas vraies. »
« Nous leur avons dit qu’ils pouvaient contrôler eux-mêmes le village et qu’ils devraient pouvoir déterminer qui sont les informateurs de l’armée et qui ne le sont pas, au lieu d’accuser tous les villageois », a expliqué un autre homme, âgé de 64 ans. « Les conversations étaient tendues, puis ils sont partis, mais nous savions qu’ils étaient en colère. »
D’après les témoignages, les combattants sont retournés à Manda le lendemain à 5 heures du matin et ont pris d’assaut la mosquée, tirant au hasard sur les civils qui tentaient de s’enfuir ou de se mettre à couvert.
Un autre habitant qui a survécu à l’attaque de la mosquée a raconté :
Ils ont ouvert le feu sur tout le monde. Ils nous ont tiré dessus en continu avec leurs Kalachnikovs [fusils d’assaut].… La mosquée était pleine. J’ai pu m’échapper, mais beaucoup ont été tués.… Les gens couraient dans tous les sens, criant, tombant au sol. Mon fils a été tué et j’ai perdu huit autres membres de ma famille.
Un homme de 67 ans a décrit l’attaque :
L’imam prêchait lorsque les tirs ont éclaté … Les fidèles se sont précipités vers la porte et les assaillants étaient là. Les gens ont commencé à tomber au sol.… J’étais le quatrième dans une rangée et j’ai pu m’échapper, je ne sais même pas comment. Mais la plupart des personnes présentes ont été tuées. Les assaillants ont criblé de balles tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur de la mosquée, ainsi que tous ceux qui tentaient de s’enfuir.
Une femme de 77 ans a indiqué qu’un de ses fils, âgé de 25 ans, est mort au cours de l’attaque, tandis que deux autres, âgés de 30 et 33 ans, ont été grièvement blessés. Elle s’est rendue à la hâte à la mosquée en moto vers 10 heures du matin pour évacuer ses deux fils blessés vers le centre de santé le plus proche situé à Ayorou, à 54 kilomètres de là. Elle a décrit l’évacuation :
Le conducteur les a chargés sur sa moto à trois roues et a également décidé de prendre trois autres hommes blessés. Mes enfants perdaient du sang. L’un était touché à la poitrine. L’autre avait une blessure par balle dans le dos qui saignait beaucoup. Ils étaient en train de mourir. Mon mari avait déchiré son boubou [vêtement ample] pour comprimer les blessures… mais elles saignaient si abondamment que le boubou était complètement imbibé de sang … Avant d’arriver à Ayorou, mes enfants sont morts… Lorsque nous sommes arrivés au centre de santé, nous avons laissé les trois autres blessés descendre de la moto, et nous avons continué tout droit vers le cimetière.
Des témoins ont déclaré qu’à la fin de l’attaque, vers 8 h 30 du matin, les survivants se sont rendus à la mosquée pour aider à évacuer les blessés et à récupérer les corps pour les enterrer.
Un homme de 59 ans qui a perdu trois frères, âgés de 51, 54 et 57 ans, dans l’attaque, a décrit la situation :
Nous avons trouvé une désolation totale … des morts partout, des corps entassés. Environ 20 personnes étaient blessées, dont au moins 10 dans un état critique. Elles ne pouvaient pas bouger ; elles respiraient à peine et perdaient du sang. Nous nous sommes entraidés. Nous avons sorti les blessés de la mosquée et les avons chargés sur des motos pour l’évacuation. Tous mes frères étaient déjà morts …. Il n’y a pas eu d’enterrement collectif … chacun enterrait les membres de sa famille. Les gens avaient peur de se rassembler, ils pensaient que s’il y avait un enterrement collectif, cela pourrait attirer à nouveau les assaillants et conduire à un autre massacre. J’ai pris mes trois frères et je les ai enterrés dans une fosse commune au cimetière de Manda.
L’homme de 67 ans a indiqué que, lorsqu’il est retourné sur les lieux, « il y avait des cadavres partout », principalement à l’intérieur de la mosquée, mais aussi à l’extérieur. « J’estime le nombre de morts à plus de 70 », a-t-il expliqué. « Mon fils aîné avait reçu des balles dans les jambes et dans le dos. Les balles lui avaient traversé les côtes. Il avait perdu beaucoup de sang. Il est mort avant d’arriver à l’hôpital. »
Les habitants ont fourni une liste avec les noms des 71 victimes, dont deux femmes, âgées de 30 et 45 ans, cinq enfants, âgés de 14 à 16 ans, et 64 hommes, âgés de 19 à 92 ans.
Les témoins ont indiqué qu’ils avaient retrouvé le village pillé et qu’au moins 10 maisons et granges avaient été incendiées.
Les habitants de Manda ont expliqué qu’ils avaient alerté l’armée au sujet des menaces de l’EIS contre le village une semaine avant l’attaque, mais les soldats n’ont pas réagi et ne sont venus que trois jours après l’attaque pour évaluer les dégâts.
L’homme de 67 ans a raconté :
L’armée savait. Une semaine avant [l’attaque], les djihadistes ont fait circuler un message vocal sur WhatsApp nous accusant d’être des espions. Ils ont dit qu’ils nous tueraient. Alors, nous avons alerté l’armée. Le chef du village a informé l’armée. Mais les soldats ne sont pas venus. Quelques soldats des bases d’Ayorou et de Tillabéri se sont rendus au village trois jours après l’attaque, alors que les habitants avaient déjà terminé d’enterrer leurs morts et d’évacuer les blessés.
Abarkaize, région de Tillabéri, 20 et 23 juin 2025
Le 20 juin, des combattants de l’EIS sont entrés dans le hameau d’Abarkaize et ont exécuté son chef âgé de 67 ans. Trois jours plus tard, ils sont revenus et ont enlevé cinq hommes. Les habitants ont retrouvé les corps des cinq hommes le 23 juin, leurs gorges tranchées, à la périphérie du hameau.
Abarkaize, un hameau dont les habitants appartiennent aux ethnies zarma, tamasheq, peule et haoussa, se situe dans une zone où l’EIS et le GSIM sont présents. Des témoins ont indiqué que, selon eux, les assaillants étaient des membres de l’EIS parce que le groupe armé avait déjà menacé leur chef et que des combattants de l’EIS l’avaient exécuté au motif qu’il avait refusé d’obliger les membres de sa communauté à payer la zakat (impôt islamique).
« Les djihadistes sont venus trois fois avant de tuer le chef et à chaque fois, ils lui ont demandé de collecter la zakat dans la communauté et de la leur verser », a expliqué un homme de 39 ans. « Mais il a refusé parce qu’il craignait que l’armée l’accuse de collaborer avec les djihadistes. »
Un homme de 45 ans a déclaré que le 20 juin, vers 17 heures, il a vu des combattants de l’EIS à moto se diriger vers la maison du chef et que, quelques minutes plus tard, il a entendu des coups de feu et « s’est enfui par peur ». Il a ajouté que, lorsqu’il est retourné au hameau, il a trouvé le corps du chef « avec une balle dans la tête ».
Le 23 juin, les combattants de l’EIS sont revenus à Abarkaize vers 1 heure du matin.
Un homme âgé de 59 ans a décrit l’attaque :
J’ai été réveillé par des tirs nourris et des cris de « Allah Akbar ». Je me suis immédiatement enfui dans la brousse avec ma famille.… Le lendemain matin, quand nous sommes retournés au hameau, nous avons constaté que cinq personnes étaient portées disparues. Nous avons commencé à les chercher jusqu’à ce que nous trouvions leurs corps, alignés les uns à côté des autres, à trois kilomètres d’Abarkaize. Ils avaient la gorge tranchée. Nous les avons enterrés dans une fosse commune et nous sommes partis.
Selon les habitants, les combattants ont tué les cinq hommes pour punir la communauté de ne pas avoir payé la zakat. Ils ont fourni une liste avec les noms des victimes, tous des hommes de l’ethnie zarma, âgés de 19 à 57 ans.
Des témoins ont indiqué que l’armée, qui dispose d’une base à Ayorou, à environ 25 kilomètres d’Abarkaize, n’a pas réagi à l’attaque et ne s’est pas non plus rendue au hameau après celle-ci. « L’armée n’est pas intervenue et, quand nous sommes arrivés à Ayorou, après avoir abandonné le hameau, les soldats nous ont même arrêtés et nous ont fouillés », a raconté l’homme de 45 ans. « Ils ne voulaient pas nous laisser passer parce qu’ils disaient que nous venions d’Abarkaize, qui est un hameau “plein de terroristes”. »
Ezzak, région de Tillabéri, 23 juin 2025
Le 23 juin, des combattants de l’EIS ont tué au moins six hommes civils dans le hameau d’Ezzak, ont pillé des maisons et en ont brûlé au moins neuf. Selon les habitants, cette attaque a été menée en représailles contre la communauté locale, dont les membres étaient accusés par l’EIS de collaborer avec l’armée.
Ezzak, un hameau peuplé de divers groupes ethniques, dont des Zarmas, des Tamasheqs et des Haoussas, se situe dans la commune rurale de Bankilaré, où l’EIS et le GSIM sont présents depuis au moins cinq ans. Les habitants ont indiqué que l’EIS contrôlait Ezzak, y avait imposé la charia (loi islamique) et collectait la zakat.
Des sources crédibles et les médias ont rapporté qu’en mars, en avril et en mai, l’armée nigérienne a mené plusieurs opérations de contre-insurrection, y compris des frappes aériennes, dans la zone de Bankilaré ciblant des positions de l’EIS. « C’est pour ça qu’ils nous ont attaqués », a expliqué un homme de 56 ans. « Ils nous ont accusés de fournir des informations sur leurs positions aux militaires. »
L’attaque d’Ezzak semblait faire partie d’une opération plus vaste de l’EIS dans la région de Bankilaré qui visait plusieurs hameaux, dont Tatararat, Tarjarmourghatt et Addas, provoquant la mort d’au moins 28 civils. Human Rights Watch n’a pas documenté ces attaques.
Un éleveur, âgé de 48 ans, a indiqué que, le 23 juin, il était dans son champ quand, vers 16 heures, il a vu un groupe d’hommes armés portant des turbans à bandes rouges se diriger vers son frère, qui était à environ 100 mètres de lui. Il a raconté :
Je pensais que les djihadistes allaient juste parler à mon frère.… Mais soudain j’ai vu mon frère faire des gestes et lever les mains en l’air … puis l’un des djihadistes a pointé sa Kalachnikov vers sa tête et a tiré. Mon frère est tombé et je me suis enfui. Les assaillants m’ont poursuivi en me tirant dessus, mais ils ne m’ont pas touché.
Un autre homme, âgé de 55 ans, a expliqué qu’il était chez lui lorsqu’il a entendu des coups de feu et des cris :
Je suis sorti et j’ai vu au loin un groupe de djihadistes tirer et crier « Allah Akbar ». Je me suis enfui aussi vite que possible avec beaucoup d’autres habitants. Nous avons passé la nuit dans la brousse, effrayés et désespérés … Nous pouvions voir de la fumée et des flammes s’échapper du hameau.
Des témoins ont confirmé que, lorsque l’attaque a commencé, tous les habitants ont fui vers la brousse voisine et ne sont revenus que le lendemain.
« Nous avons trouvé six corps, dont celui de mon frère », a raconté l’homme de 48 ans. « Quatre dans les champs et deux dans des maisons. Ils avaient tous été abattus d’une balle dans la tête …Nous avons creusé une fosse et placé tous les corps dedans avant d’abandonner le hameau. »
Les habitants ont fourni une liste avec le nom des six victimes, tous des hommes, âgés de 35 à 65 ans.
L’homme de 56 ans a expliqué que sa maison avait été pillée, comme toutes les autres maisons du hameau : « Ils ont tout pris, y compris la nourriture, et ont aussi brûlé au moins neuf huttes. »
Des témoins ont décrit que presque tous les habitants ont fui après l’attaque, cherchant un lieu sûr de l’autre côté de la frontière au Mali ou ailleurs au Niger. Ils ont précisé que l’armée nigérienne, qui dispose d’une base à Ayorou, à environ 25 kilomètres d’Ezzak, n’a pas réagi après l’attaque.
« Aucun soldat n’est venu nous aider », a indiqué l’homme de 55 ans. « Et pire encore, l’armée ne nous fait pas confiance. Ils nous considèrent comme des collaborateurs des djihadistes parce que nous vivons dans une zone sous leur contrôle. »
L’homme de 48 ans a expliqué :
Quand j’ai fui Ezzak, je suis allé à Ayorou avec ma famille, et des soldats nous ont arrêtés à un poste de contrôle et nous ont demandé où nous allions. Je leur ai répondu que mon frère avait été tué par les terroristes, que notre hameau avait été attaqué et que des gens avaient été massacrés. Mais les militaires m’ont dit que je mentais, que nous collaborons avec les terroristes et que, lorsque les choses ne se passent pas bien avec eux [les terroristes], nous partons espionner leurs positions pour l’armée. Quand ils m’ont dit ça, j’ai perdu tout espoir. Ils m’ont obligé à payer 20 000 francs CFA (35 USD) au point de contrôle pour pouvoir passer.
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